François Vogel : “j’ai toujours été attiré et fasciné par les choses déformées”
Féru de balades, cet artiste s’inspire de ce qui l’entoure pour réaliser ses vidéos. Son univers déformé provient de sa fascination pour la distorsion et la vision de l’Homme. Rencontre avec François Vogel qui, au travers de ses expérimentations, nous fait voyager vers de nouvelles sensations.
Quels sont vos débuts dans le milieu artistique ?
Je dessin depuis tout petit : on peut dire que ce sont mes débuts. Je n’ai pas vraiment fait de démarches pour entrer dans un ‘milieu artistique’. Il y a eu des opportunités, en fait, de temps en temps. Je ne saurais même pas dire si je fais vraiment partie du milieu artistique ! Mes premières expériences en images animées étaient avec la caméra super 8 de mes parents quand j’étais adolescent. Je fabriquais des petits films avec de la pâte à modeler ou des dessins animés. J’avais aussi écrit un programme sur ordinateur pour faire des images fractales animées. Je calculais une image laborieusement sur un petit ordinateur la nuit et le lendemain matin je photographiais avec ma caméra super 8 qui était fixée sur la table. On peut dire que c’est ma première œuvre numérique. Ensuite, mon premier court-métrage diffusé en festival s’appelait Cueillette. J’avais filmé une petite histoire en cinémascope mais avec des objets qui sortaient du cadre horizontal du cinémascope pour aller dans les bords noirs ; il y avait une sorte d’interaction entre l’image proprement dite allongée et le hors cadre.
Dans beaucoup de vos créations on retrouve de l’architecture ou du mobilier, un milieu assez urbain : pourquoi ce choix ?
Je suis très attiré par la vision et la géométrie. Les lignes et formes disons ‘carrées’ de la ville se prêtent bien à la distorsion. Aussi, il est vrai que j’adore me promener, que ce soit en ville ou en campagne. J’habite en ville donc lorsque je me balade je m’inspire de ce qui m’entoure, un monde effectivement assez urbain.
Vous avez voyagé dans différents pays comme le Japon ou les États-Unis. Est-ce que les cultures et façons de vivre sont une source d’inspiration ? Est-ce que vous préparez d’avance ce que vous allez faire ?
Je ne sais absolument pas ce que je vais faire en avance. L’inspiration vient vraiment avec la balade donc je m’imprègne de ce que je rencontre. Prenons le Japon par exemple, mon court métrage Erebeta a vraiment été créé dans une optique de promenade. J’avais mon appareil en main, je rêvassais en marchant et les idées venaient toutes seules. J’aime me laisser imprégner par l’atmosphère, de ce que je peux ressentir autour de moi, au feeling. Il m’arrive de commencer un film sans savoir comment il va être ficelé au bout du compte. Parfois c’est un piège et j’ai du mal à le rattraper au vol. J’ai plein de films potentiels dans des disques durs qui attendent ; pas sûr que je les finisse un jour !
Quand vous n’êtes pas en voyage, quelles sont vos autres sources d’inspiration d’une manière générale ?
J’utilise les modèles que j’ai à portée de main ! Je me mets aussi souvent en scène. La figure humaine est un vecteur d’empathie central dans l’expression artistique. Et ce que l’artiste a sous la main c’est lui même et puis ses proches. En ce moment, mes enfants sont disponibles et à la maison donc autant les solliciter lorsque j’ai une idée. Durant ce confinement il y a un côté film à la maison qui est une démarche particulière assez intéressante finalement.
Vous aimez jouer avec la perception et le visuel. D’où vient cette idée ? Qu’est-ce que vous cherchez à faire partager ?
Aussi loin que je me souvienne j’ai toujours été attiré et fasciné par les choses déformées comme les reflets dans les chromes de robinets de salle de bain par exemple. Je me suis aussi toujours posé beaucoup de questions sur notre vision. L’être humain est capable de transformer son corps. En le faisant travailler, il peut arriver à le modifier et être plus expert dans un domaine. C’est le cas des musiciens ; un pianiste qui travaille plusieurs heures par jours va avoir une modification de son cerveau, de ses mains, pour s’adapter à son exercice. Quand j’étais jeune, je regrettais que l’on utilise que la partie centrale et réduite de notre champ de vision, la périphérie n’étant là que pour nous avertir des dangers. Pourquoi ne pas chercher à englober tout le panorama ? Alors je m’exerçais à modifier mon champ de vision en regardant plus large. En me promenant, j’observais les perspectives se déformer autour de moi et j’avais l’impression d’avancer avec un fish-eye. Un jour, j’ai fini par tomber en me prenant un mobilier urbain dans les pieds ! J’aime donc me questionner sur la représentation de ce que l’on voit. L’artiste met des choses à plat pour représenter un espace dans la photo, la peinture, le cinéma etc. Cette mise à plat peut s’effectuer de milliards de façons. J’aime la représenter de façon disons ‘réaliste’, ou plutôt photosensible. La photographie et l’image animée me permettent de capter la réalité mais en même temps je questionne cette mise à plat et cette projection. Pourquoi quand on photographie l’architecture, les lignes droites restent droites et non pas courbées ? J’aime me poser ces questions et j’aime les partager avec le spectateur.
Au moment de tourner les scènes, suivez-vous une sorte de trame ou est-ce que vous le faites au feeling ?
Sans doute un mélange des deux. J’ai à la fois une idée précise de ce que je veux mais en même temps je sais qu’il va y avoir des accidents. Je joue avec la déformation de l’espace et du temps donc il y a une modification entre ce qui est photographié ou filmé et le résultat obtenu ! Mon travail est un mélange d’expérimentation et de connaissance.
Au moment du montage, comment travaillez-vous les images ?
Ça dépend des travaux que je fais. Mais c’est globalement assez long ; je passe beaucoup moins de temps à filmer qu’à monter et triturer les images sur ordinateur. Ce n’est pas tout à fait image par image mais ça m’arrive parfois. On peut parler aussi d’étirement spatio-temporel. L’ordinateur calcule avec une sorte de scan le temps dans l’image. En fait ça dépend vraiment des effets que je souhaite utiliser ; la technique varie.
Vous êtes artiste mais aussi chercheur puisque vous inventez et fabriquez des appareils ; pouvez-vous nous raconter vos expérimentations ?
Chercheur c’est un peu un grand mot ! J’aime bien bricoler. J’ai beaucoup fabriqué des appareils simplissimes quand j’étais jeune : les sténopés. Le sténopé est un appareil photo rudimentaire constitué traditionnellement d’une boîte à chaussure percée par un petit trou. La lumière passe à travers ce trou et est projetée à l’intérieur de la boîte. La découverte du sténopé a été une révélation pour moi parce que c’était une manière très géométrique de projeter l’espace visible sur la photo. J’ai tout de suite expérimenté les différentes façons de projeter cet espace. On peut déformer le papier à l’intérieur de la boîte. On peut le tordre sur un cylindre, sur un cône, on peut le froisser, le plier, le découper. J’ai alors construit pleins d’appareils photos pour voir les différentes formes canoniques de projection. J’ai aussi fabriqué un appareil qui prend des photos en perspective inversée. C’est à dire que plus un objet est loin dans le champ plus il est gros sur la photo. Finalement, il est vrai que les recherches expérimentales m’intéressent.
Quels sont vos futurs projets ?
Je travaille plusieurs courts-métrages dont un filmé au Mexique et un de nouveau à New York. Et puis j’ai plein d’idées de petites expérimentations visuelles comme je peux faire sur Instagram. A la base, je ne suis pas branché réseaux sociaux, j’ai ouvert ce compte en juin dernier sur les conseils de ma productrice américaine. Finalement c’est vraiment stimulant de faire des petites vidéos, le format s’y prête super et j’ai des tonnes d’idées en perspective !
Découvrez le travail de François Vogel sur Instagram et sur son site officiel.
Propos recueillis par Charlie Egraz
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